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La guitare électrique

Imaginez Ritchie Blackmore, le guitariste de Deep Purple, se contorsionner, suer à grosses gouttes, grimacer de douleur pendant qu’il joue le solo de ’Child in Time’... à la guitare sèche. L’effet n’est pas le même, évidemment. Oubliés presse-agrumes automatiques et autres ustensiles sans intérêt. C’est pour la guitare qu’on a inventé le fil électrique.

Les courbes les plus célèbres du XXe siècle ne sont pas celles de Marilyn ou de BB, plutôt celles de la Fender Stratocaster, le plus célèbre modèle de guitare électrique (adopté, entre autres, par Jimi Hendrix ou Eric Clapton). A travers sa sonorité, son apparence et même la position de ses musiciens, cet instrument raconte cinquante ans de culture rock. Retour en quelques anecdotes sur une histoire cousue de fil d’acier...

La forme ?

Contrairement à un instrument acoustique, la guitare électrique n’a pas besoin de caisse de résonance. Tout passe par l’amplification. De fait, elle est dotée d’un corps plein (le fameux "solid body") dont les dimensions ne se plient à aucun critère strict. Les rockers ne se sont donc pas gênés pour exhiber quelques spécimens improbables. Avec sa guitare rectangulaire, fabriquée par Grestch, Bo Diddley est le premier à se distinguer, dès les années 1950. La Gibson Flying V, autre déclinaison célèbre, paraît presque sobre comparée à l’instrument qu’utilise parfois Billy Gibbons (ZZ Top) et dont les contours épousent ceux… de l’état du Texas ! Si la forme des guitares n’a qu’un rapport lointain avec une quelconque démarche artistique, leur apparence, elle, renseigne autant sur l’univers d’un rocker que sa tenue vestimentaire. Plutôt que de revêtir le costard "Union Jack" du Who Pete Townshend, Noel Gallagher s’est contenté, pour revendiquer sa british attitude, de colorer sa guitare aux couleurs du drapeau. Le Clash Paul Simonon décorait l’instrument de son collègue Mick Jones à grandes giclées de peinture, une technique assez représentative de la spontanéité et de l’esthétique destroy du mouvement punk. C’est Metallica qui a le mieux compris à quel point une guitare pouvait communiquer. Non seulement le soliste Kirk Hammett a imprimé l’affiche du film ’The Mummy’ sur l’un de ses instruments, mais James Hetfield s’est également produit avec une guitare portant l’inscription "Kill Bon Jovi" !

L’effet Link Wray

Wah-wah, fuzz… Ces onomatopées sorties tout droit d’une bande dessinée désignent en réalité différents effets appliqués à la sonorité d’une guitare électrique. C’est bien le principal avantage de cet instrument : le son peut être modulé, trituré, sculpté selon qu’on souhaite le rendre cristallin ou, au contraire, le plus sale possible. Link Wray est de la seconde école. Avec ses classiques ’Rumble’ ou le bien nommé ’The Fuzz’, ce guitariste américain a inventé, dès la fin des années 1950, le premier effet : le fuzz. L’emploi le plus célèbre de ce son saturé et perçant est fait dans le ’Satisfaction’ des Rolling Stones. L’effet fuzz deviendra également la signature de presque tous les groupes garage américains des années 1960 (Electric Prunes, Count Five…). A la différence de ses héritiers, qui se servent d’une pédale, Link Wray, lui, obtenait l’effet fuzz en perçant son ampli à coups de stylo ! Une façon artisanale de venger le destin : le créateur de ’Rumble’, qui avait perdu un poumon après avoir contracté la tuberculose durant la Guerre de Corée, ne pouvait chanter lui-même. En créant le son fuzz, il a donné une voix à sa guitare électrique.

La guitare qui les dérange

Le public folk se veut tolérant, ouvert. Mais lorsqu’en 1965, son chouchou Bob Dylan décide d’abandonner la guitare chétive de ’Blowin’ in the Wind’ pour la remplacer par une guitare électrique, les intellectuels de Greenwich Village hurlent au blasphème et ignorent la sortie de ’Bringing It All Back Home’. Quarante ans plus tard, l’absurde rigidité de leur jugement prête à rire : ce disque, qui entame la "trilogie électrique" du chanteur (’Highway 61 revisited’ et ’Blonde on Blonde’ suivront), est un chef-d’oeuvre, le début d’une ère nouvelle dans la carrière du chanteur et une forme d’adoubement pour la guitare électrique. Au même titre que l’électro éveille encore le scepticisme de certains puristes, qui l’accusent de ne pas être "jouée" réellement, la guitare électrique se voyait reprocher jusque-là de n’être qu’un artifice sonore, un voile masquant le texte et le chant, un instrument à la mode qui, comme le synthé vingt ans plus tard, allait se démoder aussi sec. Ce ne sera jamais le cas. Premier instrument harmonique à offrir une totale liberté de mouvement, la guitare électrique a créé un jeu de scène, une imagerie bien à elle. L’attitude, ça change tout… Lire la suite de Branchée »

Image forte

Nous sommes au coeur des années 1960. En une décennie, le rock’n’roll a changé le visage de la culture occidentale. La guitare électrique n’est plus seulement un instrument ; elle est le principal vecteur de la contre-culture, le sceptre du royaume hippie, un totem devant lequel se massent des milliers de pèlerins lors de grands festivals comme Woodstock ou Monterey. Et parce qu’elle symbolise à elle seule la révolte rock, elle va être la première sacrifiée. Quand il n’en tire pas des sons qu’aucun autre instrument n’avait jusqu’alors produit, Jimi Hendrix brûle sa Stratocaster (sur la scène de Monterey, en juin 1967). De nombreux guitaristes, à commencer par celui des Who, Pete Townshend, prennent également l’habitude de conclure leur prestation en détruisant la noble six-cordes. Nous sommes au milieu des années 1960 et la guitare électrique est devenue une arme de destruction massive en même temps qu’un exutoire. Alors, pour se faire pardonner, les guitaristes des années 1970 vont l’aimer, la caresser, la cajoler…

Jimmy Page, pas un manche

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Difficile de dire si la technologie détermine la création ou si, au contraire, c’est celle-ci qui la fait progresser. En d’autres termes, Jimmy Page avait-il vraiment besoin de sa Gibson EDS-1275 à deux manches pour jouer ’Stairway to Heaven’, ou n’était-ce que de l’esbroufe assurant à son fabricant un joli coup de pub ? Ce double-manche est en tous cas devenu la plus célèbre anomalie guitaristique de l’histoire du rock. Elle résume à la perfection la décennie 1970, celle de la virtuosité démonstrative, des solos à n’en plus finir, bref, des guitar-heroes : Jimmy Page, Ritchie Blackmore de Deep Purple, Tony Iommi de Black Sabbath (qui doit utiliser des prothèses pour jouer, deux de ses doigts étant sectionnés), Eric Clapton, Jeff Beck… Dans un même souci de dépassement technique et visuel, la firme Fender lancera dans les années 1980 ses modèles Superstrats, grâce auxquels Joe Satriani, le soliste dans tous ses excès, peut atteindre des notes suraiguës. Steve Vai poussera cette course au gadget jusqu’à jouer d’une guitare en forme de coeur dotée de trois manches. Mais la palme du mauvais goût revient à Rick Nielsen, de Cheap Trick, et à ses cinq manches totalement difformes…

Tête baissée

Après les arabesques des guitar-heroes et les simagrées du hard-rock, retour à la sobriété. L’extrême sobriété. Le mouvement "shoegazing" tient son nom du fait que ses représentants, en guise de jeu de scène, restent quasiment immobiles, les yeux figés sur leurs chaussures. Ride ou My Bloody Valentine sont quelques-uns des shoegazers les plus connus. Sur scène, la densité de leur musique, noyée sous des riffs magmatiques, semble peser jusque sur les épaules des musiciens, condamnés à se tenir cambrés. Certes, ce n’est pas très visuel. Plutôt que de vouloir en mettre plein les yeux à leur public, ces groupes misent sur une sorte d’honnêteté, de mélancolie sous-jacente traduisant une sorte d’auto-dépréciation esthétisée. Pourquoi se mettre en valeur ? En vaut-on vraiment la peine ? Nirvana n’était pas un groupe shoegazer. Mais avec ses chemises à carreau et son apparence des plus banales, le groupe de Seattle creusera ce sillon "plouc", cette banalité affichée, jusqu’à célébrer la haine de soi... La guitare électrique, plus révélatrice que le divan d’un psy ?

Et maintenant…

A chaque époque sa guitare électrique. Y compris la nôtre. En 1996, au début de l’ère du tout-écologique, Gibson a signé un partenariat avec l’organisation écologique Rainforest Alliance pour fabriquer ses instruments à partir de forêts dont l’exploitation est soumise à des garde-fous ethnologiques et environnementaux. Désormais, c’est l’économie d’énergie qui obsède le citoyen. Le 28 mars dernier, à l’occasion de l’opération "Earth Hour", la WWF a appelé les foyers du monde entier à couper le courant pendant une heure. Pour ne pas être montrés du doigt, les guitaristes devront-ils bientôt produire leur propre électricité ? Pratiquer leur instrument en pédalant ? Un petit pas pour la nature, une grosse perte pour la rock’n’roll attitude…

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