Accueil du site > Actualité > Health : l’ouragan rock californien

Health : l’ouragan rock californien

A nouveau hyperactive, la Californie est en train, discrètement mais sûrement, de devenir l’une des plaques tournantes mondiales du bruit de demain. Health, groupe intégral dont l’impressionnant deuxième album et les concerts abrasifs bafferont quelques tympans, est la tête de pont d’une scène futuriste. Analyse.

« C’est marrant, quand on dit qu’on vient de Los Angeles à d’autres groupes, ils nous regardent souvent avec un petit air de pitié… Pour eux, Los Angeles, c’est un peu mort, pas rock, un coin encore considéré comme un peu ringard... » C’est Jupiter qui parle, l’un des quatre adorables mais terriblement bruyants garçons de Health, interviewés dans les loges du Bowery Ballroom. Le Bowery Ballroom, où les Angelenos se préparent à jouer le soir même : salle et parquets mythiques de New York, ville considérée depuis des années comme la capitale mondiale du neuf, le cœur de l’empire rock. Pas faux, mais plus tout à fait vrai : dans le vieux phare de l’ouest, aux confins de la dernière frontière, ça tremble aussi. Et en attendant le Big One, ça tremble fort : sous le soleil californien, un vivier riche comme Steve Jobs ont choisi le bruit et la brutalité comme arme d’assourdissement massif, expérimentent les décibels et découpent le rock en rondelles. Le Big One pourrait être Health : le groupe a renforcé ces derniers mois une indestructible côte d’amour auprès des blogs et indie kids de tous pays et, réclamé par Trent Reznor, a ouvert pour Nine Inch Nails –sacrée reconnaissance.

A Los Angeles, tout semble tourner autour d’un lieu, d’une salle, d’un épicentre : The Smell, l’endroit même où, « les matins où l’endroit était libre », Health a enregistré son premier album éponyme en 2007. No Age, Abe Vidoga, The Mae Shi, Ancestors, Captain Ahab, ils sont des dizaines à y jouer chaque mois, déjà réputés ou encore prototype. Ils ont en commun les recherches sur l’esthétique post-punk, une posture do it yourself radicale, l’envie moderniste d’éviter à tout prix les références conscientes à l’histoire rock. « Il y a beaucoup de très jeunes groupes qui s’enfilent des caisses de vin puis font du bruit, un truc très brut, très physique, explique Benjamin, le batteur. Du bruit pour du bruit, c’est d’ailleurs souvent assez désagréable, et entre 2 concerts débarque un DJ qui passe des tubes du Top 50, et tout le monde saute, c’est n’importe quoi… Mais en voyant cette scène, on s’est quand même dit, ok c’est jeune, c’est puissant, c’est bruyant, c’est déstructuré, ça mélange un peu tout : c’est comme ça que le rock doit être aujourd’hui. Pas la peine d’imiter les anciens : comme eux, on voulait être novateurs, apporter notre propre truc. »

Le premier des « propres trucs » de Health est une forme de totalitarisme artistique. Car Health n’est pas qu’un groupe : proche de l’art contemporain, les garçons ont fait de leur formation une œuvre totale, une holding tous azimuts. Tout est bien entendu basé sur leurs albums abrasifs, présentés sous la marque Health Noise. C’est la base du business : le premier Health en 2007, Get Color aujourd’hui. Puis une première succursale avec des disques de remixes, notamment de leurs copains Crystal Castles, pour faire fondre les Converse sur les dancefloor, publiés sous l’itération Health Disco. Et enfin une troisième filiale, label de fringues bientôt sur toutes les épaules : Health Fashion.

On se concentrera cette fois sur Health Noise. Soit leurs albums –et leur reproduction live, expériences différentes mais correspondantes. Là aussi, sur Get Color comme sur la scène du Bowery Ballroom, le spectacle est intégral. Sonique, d’abord : quand les quatre boys montent sur scène, ou quand Get Color démarre dans l’intimité, un mur se dresse. Instantanément. Un mur de son, un mur de plomb, de béton surarmé, de guitares en scies sauteuses, de synthés au papier de verre, un mur frappé des coups de boutoir d’une rythmique en marteau-piqueur tribale ou beats épileptiques –les Liars ne sont pas loin. Et, surtout, un mur sonique bâti avec un instrument ésotérique à eux : le zoothorn, un micro relié à diverses pédales d’effets, responsable du son unique du groupe. Mais le mur se saute. Et planque un jardin, dont les voix dessinent une végétation dense, ardente et vénéneuse : le chant de Jake, passée à l’éther, My Bloody Valentinien, est la substance même de Health. Il est l’élément qui floute les angles aigus, qui permet au groupe côtoyer, de loin, les rondeurs pop et l’empêche de sombrer dans l’expérimentation pure, dure et absconse -qu’ils déclarent abhorrer au plus haut point. Mais les voix ne sont pas les seules, chez Health, à fournir aux esprits paumés un élément auquel s’accrocher. Là encore, sur scène comme sur disque, où ils épatent à chaque fois, les Angelenos sont un groupe hautement visuel. Il semble dessiner ses morceaux, à grands coups de cutter et de fusain, avoue même les concevoir régulièrement par schémas, comme on dessine un nouvel univers. Le leur ressemble à un Big Bang : une énergie infinie, une explosion démentielle, et une expansion probable, dont on ne connaît pas encore les limites.

Album : Get Color (Lovepump/City Slang/Cooperative Music) Concerts : le 29 à Nantes, le 30 à Dijon et le 31 à Paris (Nouveau Casino)

Réagir à cet article