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Joann Sfar : « Un film amoureux sur Gainsbourg »

Après Marjane Satrapi et Riad Sattouf, l’auteur de BD Joann Sfar passe derrière la caméra et signe un conte musical aussi poétiqueque subversif sur l’Homme à tête de chou. En salle mercredi.

Pourquoi dites-vous que votre Gainsbourg (vie héroïque) est un conte plutôt qu’un film ? JOANN SFAR. - Dès le début, la famille Gainsbourg a choisi ce projet parce qu’il ne dévoilait pas leurs secrets. Ce n’est pas une vie rêvée de Gainsbourg, c’est très documenté. Mais j’ai eu la volonté de partir de la voix de Serge, de garder les récits qu’il a faits de sa propre vie, même si parfois il a dit beaucoup de mensonges. Mon objectif était de me débarrasser de tous les témoignages des proches de Serge pour ne garder uniquement que sa voix. Par exemple, il a raconté qu’il a voulu être le premier à avoir son étoile jaune. Et quand on lui demande : « Pourquoi es-tu si pressé de la porter ton étoile ? » il répond : « C’est votre étoile, Monsieur. C’est vous qui souhaitez que je la porte ! » Je sais seulement que quand il raconte cela, cela veut dire qu’à un moment de sa vie il trouve cela fondateur.

En tant que fan de Gainsbourg, quel était votre but ? Mon but était de dresser un portrait presque existentialiste de Gainsbourg, où se confondent ses idées, son intimité et ses fragilités. Cette « vie héroïque » n’est pas dénuée d’ironie. Parce que Gainsbourg a construit autour de lui une espèce de figure de saint, alors qu’il était l’inverse de quelqu’un qui mérite la béatification ! (Rires.) Finalement, il y a quelque chose de sulpicien dans la légende de Serge Gainsbourg. L’autre chance du film, c’est qu’il a bénéficié de capitaux américains, ceux d’Universal. Ils m’ont demandé d’être le plus français possible ! Avec les amoureux des bords de Seine, le peintre et ses modèles ou la chambre sous les toits qui montre Paris comme dans Ratatouille. J’ai adoré ça. J’ai fait un film amoureux sur Gainsbourg.

Le cinéma vous intimidait-il parce que vous venez de la BD ? Pas du tout. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’un film de pirate. Je viens de la bande dessinée, et Éric Elmosnino vient du théâtre. Tout le projet visait à faire un spectacle et à considérer le cinéma comme un art forain. Si je rechigne le terme « film », c’est par coquetterie. Souvent les films sur la vie des gens tournent aux reportages ou aux enquêtes. Et moi, je ne suis pas de cette école-là. J’adore quand tout est construit, raconté, éclairé. Je trouve que le théâtre est parfois plus vrai que le cinéma.

Du coup, votre Gainsbourg est construit scène après scène, époque après époque, chansons après chansons, en deux dimensions, comme une BD, et filmé comme une vie de saint…

J’adore cette idée de construire des ex-voto, en effet. Mais il y a aussi une polysémie chez Gainsbourg. C’est le plus chrétien des juifs. Il n’a pas arrêté de mettre en avant son martyre. En même temps, il est païen du début à la fin.

Et les femmes ? Elles jalonnent son parcours comme des apparitions qui peuvent lui enlever sa force ou bien lui en donner. Parfois les deux. Dans le cinéma américain, le héros apprend de ses erreurs et son couple va mieux à la fin du film. Ici, c’est l’inverse. Le héros français ne comprend rien et il reste le même du début à la fin. La seule chose qui lui arrive, ce sont les marques du temps qui viennent signifier que la mort approche.

Justement, quelles métamorphoses a dû opérer Éric Elmosnino pour devenir Serge Gainsbourg ? Il y a d’abord eu la phase Charlotte Gainsbourg. Pendant six mois, j’ai travaillé avec Charlotte sur l’idée de la transformer en Serge. Ce qui ne s’est finalement pas fait, et c’est tant mieux. D’emblée, cela posait les bases d’un Gainsbourg réinventé, recréé, théâtralisé.

Pourquoi cela ne s’est-il pas fait ? Parce que c’était trop douloureux pour Charlotte. Elle pensait, grâce à ce rôle, traverser une espèce de deuil qu’elle n’était jamais parvenue à faire. Et plus on travaillait, plus ses mains tremblaient et n’arrivaient pas à jouer au piano. Elle m’a dit : « Tu vas faire un film formidable sur mon père. Mais tu le feras sans moi. » Quant à Éric Elmosnino, ce qui est fou, c’est que dans la vie il ne ressemble pas du tout à Serge Gainsbourg. Pourtant, il n’a pas fallu beaucoup de maquillage pour le transformer. Au début, j’ai essayé de lui mettre le vrai nez de Gainsbourg et il ressemblait à Henry Kissinger ! Non, durant les cinq mois de préparation, Éric a travaillé sa gestuelle, le rythme de la voix de Gainsbourg, sa manière de découper ses phrases. Et la métamorphose s’est accomplie.

Pourquoi dans le film, apparaissez-vous en Georges Brassens ?

Ça la fiche très mal. Cela pourrait même faire le bandeau de votre article… Je viens de faire un film sur Gainsbourg, mais mon chanteur préféré, c’est Brassens ! (Rires.)

Source : Le Figaro

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