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La Route du Rock, collection hiver

L’annulation de The XX n’y changera rien : l’affiche de la Route du Rock d’hiver à Saint-Malo met encore à l’amende la plupart des festivals, toutes saisons confondues. Après Beach House vendredi, Clues, les Local Natives et Clara Clara ont botté, samedi, quelques heureux popotins.

SAINT-MALO, L’OMNIBUS, SAMEDI 20 FEVRIER

C’est à un combat majeur que nous assistons, en ce deuxième soir de Route du Rock divers, magnifiquement variée et définitivement devenue immanquable de saison. L’opposition, dantesque, de deux conceptions opposées de la musique –opposées mais également épatante, antagonistes mais toutes deux fascinantes, contraires donc passionnantes.

A ma droite, ouvrant le courage au tripes la belle soirée, tuniques qui ne paient pas de mine, les très attendus Clues. Clues représente le camp de la parfaite imperfection rock. On est fadas de l’album des Montréalais. On nous avait prévenus, de longue date : le groupe est immense sur scène. On y a cru, on a eu raison. Parfaite imperfection rock car les morceaux des Canadiens, habités, sont joués au nerf, à l’os, dans la rouille et la furie. Imperfection car ce qui semble couler de source dans le confort du salon révèle beaucoup plus clairement sur scène ses contre-pieds ahurissants, ses nuances extraordinaires, ses saillies surprises et illogismes apparents, ses excroissances à la lisière du naturel. Le groupe accélère jusqu’à la folie puis coupe subitement l’effort, explose puis caresse, montre très haut pour retomber avec grâce dans de sombres abysses, souffle le vent mauvais puis la douce brise, le tout dans une mécanique impeccable. Il invente, pour des yeux qui ne clignent même plus, des clairs-obscurs extrêmes dans lesquels on finit par se perdre définitivement. Il faut quelques minutes pour s’habituer à ce rythme, pour apprendre à tolérer d’être à ce point secoué, tripes et neurones, pour tenter de reprendre des marques qu’on ne retrouvera, c’est heureux, à peu près jamais –le groupe n’est pas signé sur Constellation pour rien. Il faut aussi quelques minutes au fascinant et acrobate chanteur Alden Penner, à son comparse batteur Brendan Reed et à leur redoutable petite entreprise –double batteur pou double bonheur- pour réchauffer le public. Qui finira abasourdi, à blanc, portera la formation en triomphe, logique, lui imposera même un encore formidable.

A ma gauche, jouant devant un public bouillant qui aura vite oublié l’absence de The xx, les Angelenos de Local Natives. L’opposition est radicale. Donc d’autant plus intéressante à observer. Car les Californiens sont, eux, l’expression concrète d’un autre phénomène tout aussi passionnant à observer : l’imparfaite perfection pop. Perfection pop car les morceaux qu’ils déroulent, en ligne sur scène et appuyés par un batteur de l’ombre, sont chacun de petits miracles de mélodies luisantes, une version musclée des Fleet Foxes que les harmonies vocales pourraient faire verdir de jalousie, des entrelacs impeccables, dessinés avec un soin maniaque, vernis de la première note à la dernière. Trop vernis, de premier abord : le groupe est, sur scène, si doué, sa mécanique et son jeu sont si bien rodés qu’on d’abord a du mal à pénétrer ses brillances, qu’on le trouve un peu trop lisse, un peu trop parfait. La perfection pop peut être une plaie. Mais l’impression initiale change vite : les chansons des Américains, comme celles de Clues, sont des poupées russes bourrées de petites stupéfactions, s’inventent de nouveaux chemins à chaque refrain, une nouvelle langue, leur vernis si brillant planque des épines acérées, le gentil chat est aussi capable d’arracher quelques oreilles de coups de griffes bien placés. Triomphe final aussi, mérité aussi.

Reste un cas, à part, qui clôt la soirée à l’Omnibus avant que les masses ne se déplacent à l’Escalier, le cœur léger et le bonheur aux lèvres, pour aller se frotter au set profond et obsédant de l’excellent Krikor. Le cas Clara Clara. Un cas dont on va beaucoup reparler –c’est une évidence. François Virot et ses ouailles jouent devant un public clairsemé, mais le spectacle vaut le coup d’œil et mérite ses acouphènes : noise, pop, furieuses, tordues, à la fois informes mais pleines de crochets pop impeccables, jouées à l’énergie nucléaire crasse, les chansons bac-à-sable de Virot & co trouvent sur scène un terrain de jeu plus formidable encore que sur l’impeccable Comfortable Problems. Batteur-chanteur debout, ce n’est pas un détail pour nous, Virot impressionne par sa puissance, ses éructations vocales, la rage communicatrice qu’il emploie, l’impression follement enthousiasmante qu’il donne d’être un gamin frappant pour la première fois, en toute innocence et encore vierge de toute pollution, sur ses premiers instruments. Comme un gamin, démiurge rigolard, qui réinvente un univers complet, et les nouvelles couleurs qui vont avec.

SAINT-MALO, L’OMNIBUS, VENDREDI 19 FEVRIER

On pourrait sans doute griller quelques signes en parlant de l’exceptionnelle affiche de cette Route du Rock d’Hiver –de quoi rendre jaloux la plupart des gros festivals d’été. On pourrait, on devrait sans doute, passer pas mal de temps à analyser la prestation ambivalente de The Horrors. Se demander pendant des heures pourquoi elle nous laisse autant sur le cul que sur la faim, pourquoi les jeunes Anglais aux délires capillaires un poil ridicules donnent l’impression d’être les archétypes des groupes britanniques préfabriqués ; beaucoup de style, trop de style, un son impressionnant mais designé comme on dessine un business plan, une belle attitude rageuse sur scène, mais au final peu de vraies chansons.

On pourrait se pencher sur le cas, complexe, des très radicaux Jackie-o-Motherfucker. S’y pencher même aussi longuement que la troupe, bâtisseuse de longues longues looooongues cathédrales soniques, a mis pour apporter l’ultime flèche à leur construction ; le concert, long jam chirurgien et morceau aux formes indéfinies, a parfaitement clivé le public en deux, ceux qui ont réussi à pénétrer leur dédale pour s’y paumer gaiment, et ceux qui ont préféré aller s’alcooliser en attendant plus simple.

On pourrait aussi sans doute s’étaler sur la longueur sur Beak>, projet parallèle de Geoff Barrow de Portishead, kraut rock ciselé au cutter rouillé, sur la performance mi-physique mi-cérébrale des trois garçons, sur ce concert en pleine lumière qui laisse un goût d’enthousiasme métallique, et l’envie claire de se replonger sérieusement dans un album formidable. On pourrait aussi essayer parler des Fiery Furnaces, dont on avoue être moyennement fan, ou de Turzi, dont on est plutôt très très amateur, mais on aurait quelques difficultés ; pour diverses raisons tout à fait personnelles mais pas forcément excusables, on a du zapper les deux.

On pourrait faire tout ça. Mais on ne va pas. Car nous avons une mission bien plus importante à notre cœur. Nous devons, coûte que coûte, rétablir une vérité, crier une évidence : Beach House est une merveille, de celles qu’on ne croise que quelques fois par décennie, et le concert du duo plus batteur fut un rêve parfait. Rétablir la vérité car quelques amis, les malheureux, on les a d’ailleurs depuis répudiés, ont déclaré s’être méchamment enquiquinés pendant le set de Victoria Legrand et de ses ouailles. Pauvres hères. Ils n’ont rien compris. N’ont pas adhéré, l’esprit incapable de se lover dans les morceaux sublimes des Américains. Ils n’ont, pour certains, pas aimé, pas du tout aimé la prestation de Legrand.

Nous avons, pour notre part, été absolument fasciné, mentalement happés par le personnage, par son attitude passionnante sur scène. Une chanteuse naturelle, dure, pas commode-commode, qui semble frôler à chaque instant le vent glacé d’une violente colère, qui fixe quelques individus, dans le public, d’un œil pénétrant et inquisiteur, comme pour parachever une séduction sorcière. La voix garçonne et forte d’une lionne de glace mais la sensualité brûlante de Lucifer, la théâtralité minime d’une chanteuse exceptionnelle, qui sait offrir quelques courbes supplémentaires et traits au fusain aux morceaux du groupe, sans écraser la délicatesse infinie de leur composition.

Enserrés dans un décor de parasols du Pôle Nord, les morceaux de la maison de plage glacée, du récent Teen Dreams notamment, sont ainsi, sur scène, légèrement plus musclés, plus puissants que sur disque. Donc encore un peu plus obsédants. Amis, changez d’avis et faite comme nous : aimez Beach House et adorez Victoria Legrand. Elle pourrait, si ce n’était pas le cas, vous coller une baffe. Et si ce n’est elle, ce sera nous.

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